Montée… et baissée de drapeau
Telle Elisabeth Tessier, je profite de l’alignement des planètes (dodo Ethan + dodo Lena + PC disposé à fonctionner + mes neurones à peu près en état de marche) pour lancer mes doigts en un sprint effréné sur le clavier.
C’est que j’ai de quoi raconter ! Et si peu de moments propices pour le faire…
Chaque minute compte, blog-lecteur, et tu sens probablement ma fébrilité.
C’était au mois de décembre dernier, peu après le départ de toute la famille venue passer Noël à la sauce suédoise. Nous avions découvert dans notre jardinet un mât bigrement haut, qui manifestement était destiné à autre chose qu’étendre le linge. Après un rapide et discret coup d’œil aux proprets jardinets voisins, force était de constater qu’il s’agissait de portes-drapeaux. Ou plus exactement, et ce détail aura une importance comme l’histoire va nous le conter, de pavillons suédois (petits drapeaux triangulaires), claquant fièrement au vent, au bout desdit poteaux.
Nous avions eu l’imprudence d’en informer nos parents respectifs, qui eurent vite fait de sauter sur l’occasion pour comploter. Du coup, quelle surprise ! Père Noël PapyGil et Mère Noël MamieMo avaient apporté dans leur hotte un drapeau français.
Nous avions de notre côté déniché au fond d’un placard, parmi quelques autres vieilles croûtes laissées par nos propriétaires, un immense drapeau suédois.
Peu après l’ouverture des cadeaux, PapyGil s’était porté volontaire pour aller affronter le froid sec et la corde gelée, et hisser les 2 drapeaux, l’un en dessous de l’autre, fixés avec un nœud à la Mac Giver. Nous étions tous fort satisfaits du résultat, les 2 drapeaux ondulant fièrement dans le vent et profitant des accalmies pour s’entrecroiser. C’était du plus bel effet, et notre sensibilité internationale en appréciait la portée symbolique. Nous ne doutions pas que l’autochtone voisin allait saisir le message caché…
Petite précision géographique : la Felixhouse est implantée sur le flan d’une colline, à l’aplomb d’une petite falaise rocheuse, au-dessus d’autres maisons s’étalant en contre-bas jusqu’à la route. Traduction pragmatique pour toi lecteur dont les neurones sont fatigués aussi je le sens, on voyait les drapeaux à 10 km à la ronde.
« Hmm, c’est marrant quand même, ce sont les seuls grands drapeaux dans les environs »… Cette idée nous avait effleuré 5 min, mais avait vite été balayée par le côté exotique de l’expérience. Je n’avais jamais hissé le drapeau tricolore dans la cour à St Etienne des Oullières, mais ma foi, à l’étranger, on trouve la chose beaucoup moins ringarde !
Quelques jours après le départ de la joyeuse tribu, on frappe à la porte. Je vais ouvrir, et me trouve nez à nez avec un homme d’âge respectable, un porte-documents sous le bras. Votre mari est-il là ? Me demande-t-il dans un anglais parfait après que je lui ai précisé que mon suédois était aussi développé que celui d’un renne sourd et muet de naissance .
- Il est là juste dehors en train de parler avec la voisine.
- Pouvez-vous l’appeler ?
- On va plutôt attendre qu’il ait fini. Ou alors on peut commencer sans lui, allez-y ! (allons bon, pense-je intérieurement, je ne savais pas que les témoins de Jéhovah recrutaient aussi parmi les vikings…)
Bon sur ce, le Papy finit par commencer, mais je voyais bien qu’il était contrarié.
- Connaissez-vous les us et coutumes suédoises ? me demande-t-il inquisiteur et satisfait de son petit effet à venir.
- Certaines oui, mais toutes non, on est là pour les découvrir justement… (aller, accouche pépé, j’ai pas que ça à faire moi).
- Vous avez hissé 2 drapeaux sur votre mât.
- Oui (ah, ça commence à devenir intéressant).
- La France est-elle une nation libre ?
- Euh... (je revisionne mentalement le dernier N° du Nouvel Obs, rubrique Faits Divers, et je ne me remémore pas d’invasion récente de nations voisines belliqueuses) ...Oui.
- Eh bien, vous ne pouvez pas hisser 2 drapeaux sur le même mât. »
Et de nous donner une leçon du bon usage des drapeaux pendant une demi heure, citations d’un ouvrage à l’appui (dans lequel le nombre de post-its soigneusement collés témoignait de l’offense ressentie) …
Je m’en vais ici vous livrer quelques unes de ces règles essentielles de savoir-vivre, que vous ignoriez je parie bande de mécréants :
- sur un mât, un seul drapeau. Sinon, celui qui est en dessous signifie que la nation correspondante a été vaincue par celle du dessus.
- un drapeau ne peut être hissé n’importe quand. Il doit être levé au lever du soleil, et descendu au coucher, chaque jour (hm, ça risque de faire du boulot !)
- un pavillon en revanche peut être hissé 24h/24
- personne, hormis le roi, n’a le droit d’écrire sur le drapeau !! Tu as compris suppôt de Satan !!
Et là, je me suis dit que s’il avait fait quelques pas de plus dans la maison, il serait tombé sur ça… et qu’on se serait retrouvé à coup sûr en prison en compagnie des vikings réfractaires ou alors aux urgences du coin au chevet de Papy-drapeau victime d’une crise cardiaque !
Mais le pire, c’est qu’on les a descendu les drapeaux. Bon pas tout de suite car tout était gelé (notre retraité-de-l’armée-témoin-de-Jéhovah devait faire des bonds dans ses charentaises). Comment savoir s’il représentait l’opinion du voisinage ou seulement celle de lui-même ? Nous étions encore en période d’observation réciproque, il s’agissait de se montrer de bonne volonté et d’éviter les boulettes diplomatiques…
Epilogue : nous avons quelque temps après fait la connaissance de Konrad et Anna-Maria, nos voisins les plus proches. A qui nous avons raconté l’épisode. A propos duquel nous avons rit à gorge déployée, chacun découvrant en fait un pan de l’histoire. Le vieux fou, car c’est bien de cela qu’il s’agissait, était avant de venir nous voir, allé frapper à la porte de tous nos voisins pour savoir qui on était, si on était français, tout ça. Il leur a tous fait remarquer qu’on avait hissé 2 drapeaux, ce que les voisins en question avaient trouvé marrant, voire de bon augure.
Moralité, à la prochaine impulsion patriotico-internationale, on risque de faire monter un pacemaker dans les tours !!